Modes d'expressions

Le djerbien, excellent travailleur et bon commerçant, a su aussi se montrer artiste dans sa vie quotidienne et lors des festivités et occasions diverses. S’ajoutant aux artisanats de tissage et de poterie où l’artiste créateur se mêle à l’artisan, d’autres modes d’expression de la culture djerbienne s’affichent à travers la musique autochtone et l’architecture vernaculaire.

Le patrimoine musical de l’île de Djerba se divise en deux parties.
Une partie réservée aux chants, comportant des chansons relatives au travail que chantent des femmes sans accompagnement rythmique au cours de certaines activités, comme la moisson, la cueillette des olives ou le filage de laine destiné au tissage. Il y a également les chansons relatives aux occasions festives que chantent les femmes pendant les mariages et qu’on appelle Essouth ou Ethawwâhi. Ce sont des chansons lentes, chantées par un groupe de 4 femmes, dont deux d’entre elles chantent et les deux autres répètent. Il existe  d’autres chants avec accompagnement instrumental pour les occasions festives comme les mariages. Chez les femmes, elle se limite à la Darbouka, alors que chez les hommes, on y ajoute un instrument qu’on appelle Elghîta.


Une partie instrumentale se manifeste spécialement dans les cérémonies de mariages traditionnels et qui accompagne certains de ses rites distinctifs à travers des récitals, joués par le groupe des Ettabalâ avec les danseurs de la zghara. Parmi  les pièces instrumentales que joue ce groupe musical, il y a ce qu’on appelle Elfèzzaaî ou Ettehrîba, joué par un batteur de tambour dont le but est d’inviter les gens à assister à la cérémonie, Essaltni ou Essoltânî, joué au début de la cérémonie nocturne, Elbrâbrî,  joué surtout pendant la visite rituelle à l’olivier. Il existe d’autres pièces instrumentales spécifiques aux activités artisanales, parmi lesquelles on peut citer Elharbi Errwai au souffle épique, joué pendant le creusage des puits pour exhorter les travailleurs à fournir plus d’efforts et en même temps les divertir, vu la dureté du labeur.
Le paysage architectural de l’île est décrit dans sa simplicité et sa sobriété avec l’aspect sculptural et massif qu’il présente ainsi que la couleur blanche unifiante qui le caractérise. La lumière y joue avec les volumes et s’accroche à la texture rugueuse de leurs enveloppes blanches qui semblent être modelées à la main. « L’Architecture de Djerba est une architecture tactile, par opposition à une Architecture de rapport visuel. Rien de semblable ici : chaque plan, chaque ligne a été modelée, on dirait caressé de main d’homme. » [Pierre Poly]
Une autre notion spécifique réside dans le choix des couleurs. Le blanc du mur et le vert ou le bleu des ouvertures sont les seules couleurs perçues noyées dans une plage de verdure naturelle. C’est par ces couleurs que s’identifie l’architecture djerbienne avec une parfaite intégration au site par effet de contraste. Approprié à une luminosité intense, le blanc de la chaux fut le meilleur moyen pour réfléchir les rayons solaires et réduire l’absorption de la chaleur. De même qu’à l’intérieur, cette blancheur aide à mieux répartir la lumière. Les ouvertures dans les différents édifices sont plutôt étroites pour se protéger contre la luminosité intense de la région et sa chaleur. Elles sont orientées et utilisées selon les besoins fonctionnels.
C’est par l’adoption d’une forme massive, fermée et convergente vers un vide intérieur que se dévoile le caractère conservateur des djerbiens. Seule l’orientation par rapport au soleil hiérarchise les espaces et non leur forme. A l’échelle de chaque sous espace, la forme constitue une fonction, une technique constructive et une expression symbolique. Ainsi, dans ces espaces vernaculaires djerbiens, la forme est dictée par des forces socioculturelles et physiques qui donnent naissance à l’expression architecturale, à l’échelle et aux proportions.


Les espaces djerbiens sont typiques par leur modestie et leur dépouillement mais cette caractéristique n’exclue pas l’existence d’un certain nombre de modèles ornementaux uniques et très variés qui ne mettent en œuvre que des formes géométriques pures comme les triangles, les losanges, les cercles… Et ces modèles, bien que géométriques comme une grande partie des décorations en islam qui interdit la représentation humaine ou animale, se distinguent des arts décoratifs islamiques classiques. L’influence berbère y est plus présente à travers ses symboles et sa mise en œuvre.

Cette décoration discrète, en inscriptions et ornementations, se rencontre dans tous les édifices de l’île aussi bien ceux d’habitation, les houch, que ceux de production ou de culte. Elle donne une idée sur les dates d’édification des monuments ainsi que des informations d’ordre social et politique qui ont beaucoup guidé et aidé les chercheurs et archéologues.

Architecture cultuelle :
Les mosquées djerbiennes témoignant de l’inspiration que leur procure le milieu naturel immédiat, sont imprégnées d’une âme locale berbère presque indépendante des courants artistiques du centre. Ce qui a engendré un type de mosquées à part,  propre à l’île de Djerba. On se doit, aussi, de mentionner que les mosquées de Djerba sont d’une diversité saisissante vu qu’elles sont le fruit de toute une série de contraintes à chaque fois différentes. Leur nombre est important dépassant largement les 250 actuellement et l’on raconte qu’elles étaient au nombre des jours de l’an. L’existence de centaines mosquées et prie-Dieu creusés dans la terre dans l’île est peut être l’expression d’une tradition berbère ancienne, surtout qu’elles sont des plus anciennes de Djerba. On distingue deux types. Celles picotées entièrement dans la roche naturelle du site et qui rappellent dans leur organisation les troglodytes berbères, comme Ghar Magmag, et d’autres qui sont partiellement creusées dans la terre et pour lesquelles on note l’utilisation des matériaux de construction locaux usuels.

Pour ce qui est des synagogues de l’île, un modèle architectural unique prédomine par les synagogues de l’île; on y trouve également à peu près le même type d’ornementation. La synagogue djerbienne comporte deux salles contiguës, l’une est couverte et l’autre découverte, orientées toutes les deux vers Jérusalem et servant à la prière. La première salle  est utilisée en été et pendant la fête de Pâques, la seconde en hiver. Mais la nécessité pousse  souvent les membres de la communauté à utiliser les deux salles en même temps pour la prière commune.

- Architecture domestique :
Le houch est l’habitation proprement dite et le composant essentiel du Menzel djerbien. Il est établit sur le modèle de l’habitation méditerranéenne à patio et présente un aspect fortifié avec ses « tours » carrées ou gorfa. Le houch constitue une entité complexe reflétant le système relationnel de la famille djerbienne et remplissant la fonction de l’habitat proprement dit avec les divers besoins de la vie quotidienne. Comme le reste des composantes du Menzel, le houch semble apporter de part son organisation spatiale et la répartition des entités qui le composent, des réponses aux besoins  matériels et spirituels de ses habitants.
Chaque houch  possède des  locaux de service comme le local réservé aux invités, Makhzen édhiaf, la cuisine, Matbakh, les toilettes Bit-errâhà.  Elles sont rarement rattachées à l’habitation et sont souvent implantées à une distance de la maison pour éviter toute mauvaise odeur et toute saleté.  
Les ateliers de tissage font aussi partie des composants majeurs de tout Menzel djerbien, mais,  ils peuvent aussi être groupés à proximité des agglomérations urbaines. Il s’agit d’une seule pièce, à un niveau, longue et étroite, semi-enterrée, pour que la température à l’intérieur soit fraîche l’été, tiède l’hiver. Son accès est généralement orienté vers le sud avec quelques marches qui permettent d’arriver au niveau bas.  L’éclairage est assuré par la porte et par deux fenêtres de part et d’autres de la porte et par une ou deux autres fenêtres au mur opposé. Cet édifice est reconnaissable par sa façade spécifique en triangle. Quelle que soit son origine, ce fronton triangulaire, élément un peu étrange, vaguement grec et qui n’a apparemment aucune utilité pratique, a sûrement une grande importance symbolique, et c’est l’une des originalités de l’atelier de tissage. Parmi ces constructions, on trouve quelques-unes couvertes avec une série de voûtelettes obliques s’appuyant deux par deux les unes sur les autres perpendiculairement à l’axe principal de l’atelier, épousant à merveille la forme triangulaire du fronton. On trouve aussi ceux, qui sont couverts avec une seule voûte en berceau. Pour lutter contre les poussées exercées, vers l’extérieur, par les voûtes et les murs épais, le bâtisseur djerbien avait  soutenu ses édifices par des arcs-boutants placés au dehors et par des contreforts de différentes formes.

Les fondouks, destinés aux négociants étrangers et leurs marchandises, sont réalisés pour la plupart entre le VIème et le IXème  siècle. Ces vastes édifices peuvent être comparés à des auberges ou des caravansérails, lieu d’entrepôt pour les marchandises et habitat pour les marchants de passage. Au départ, ces fondouks formaient, avec la grande mosquée, le noyau de l’actuelle petite ville de Houmet Essoug. Au  XIXème et au cours de la première moitié du XXème siècle, certains de ces fondouks furent des demeures pour les familles  européennes, maltaises et italiennes essentiellement, qui exerçaient la pêche et d’autres activités artisanales sur l’île. Aujourd’hui, la majorité de ces constructions ont connu un changement d’affectation : les unes transformées en modestes hôtels ou auberges de jeunesse, les autres réhabilitées, à vocation commerciale et artisanale.

Depuis toujours l’huile a constitué une richesse importante pour l’île. Le sous-sol de Djerba renferme une multitude d’huileries traditionnelles qui couvrent les besoins de toute l’île. Ces unités de production étaient toutes souterraines, certaines sont invisibles de l’extérieur car creusées et taillées dans les couches rocheuses, ce qui leur donne une allure de cavernes. D’autres se distinguent par une architecture plus évoluée étant donné qu’elles sont entièrement construites en sous-sol. Il s’agit là d’un agencement très fonctionnel permettant d’avoir un espace couvert spacieux, grâce à des coupoles et des voûtes dont les poussées latérales étaient absorbées directement par la masse du sol. Le plan n’est pas uniforme, il est variable suivant la configuration du terrain et l’importance de l’huilerie. A Midoun, vous aurez l’occasion de découvrir l’huilerie El Fsili, sauvegardée, aménagée et ouverte au public.
L’atelier de poterie est partiellement enterré. Il est construit sur la base d’une structure en pierres de taille réparties en travées d’arcs et disposées parallèlement pour supporter la couverture. La couverture de style local est faite en demi-troncs de palmiers sur lesquels est placée une couche d’algues, Talga ou dhria’ ; le tout est couvert d’une couche d’argile tassée. Les murs extérieurs sont bâtis en travertin local, lié avec du mortier et de l’argile. Les  murs de refend sont montés soit par des arcs en pierres de taille, soit avec les débris de grosses poteries. L’unique porte de l’atelier est aussi l’unique source de lumière, elle ouvre toujours au sud pour des raisons d’éclairage régulier et d’abri des vents dominants. Les fours sont construits en brique locale, à proximité immédiate des ateliers. Une couche de grosses jarres tapissent  les parois extérieures pour assurer un certain isolement thermique.

- Architecture défensive :
Les instabilités politiques et les attaques des envahisseurs, qui ont vu dans l’île une base tranquille pour leurs flottes, ont été à l’origine de la construction d’un ensemble de forteresses et d’observatoires le long de la côte djerbienne et à l’intérieur de l’île. Ils datent d’époques différentes et peuvent être groupées en trois catégories à savoir :
1. Les Borjs.
2. Les Mosquées forteresses internes.      
3. Les Mosquées Forteresses littorales.  
C’est pour cette raison qu’on en trouve un peu partout à l’intérieur de l’île  de Djerba  un style de mosquées assez spécifiques, on parle ici d’édifices religieux dotés d’éléments leur permettant de jouer un rôle militaire. On peut les distinguer en se basant sur plusieurs aspects formant leurs équipements défensifs : murs épais, meurtrières, mâchicoulis, minaret… Le nombre impressionnant des mosquées peut être interprété en tant que signe des préoccupations défensives des habitants ; puisqu’elles ont souvent joué, dans cette île, le rôle que jouait le château fort en Europe au moyen âge. C’est dans son enceinte que se groupent les croyants, en cas d’attaque.

- Mode de construction :
Les djerbiens ont, avant tout, cherché à utiliser au maximum les matériaux divers que leur offre la nature de l’île. Ces matériaux sont divisés en deux catégories complémentaires. Ceux minéraux ; comme les pierres, l’argile, le sables, et les liants. On en cite la chaux vive utilisée pour le badigeon et les mortiers et le plâtre ou jibs très utilisés dans la confection des voûtes et coupoles. L’argile entre dans la construction de deux manières ; comme liant à l’état brut, ou bien comme matière première de certains éléments en poterie, tel que brique plate ou ronde et aussi pour une sorte de tuile vernissée en forme d’écaille.

Et il y a en plus les matériaux végétaux, dont en cite les troncs d’arbre, qui servent de poteaux et de piliers, les palmes, utilisées soit entières ; pour la couverture et le remplissage des parois, soit écrasées ; pour la fabrication des cordages de différentes grosseurs nécessaires aux liaisons des éléments en bois ou le tressage des nattes de remplissage.

Le djerbien a aussi recourt à l’algue sèche, qui offre un isolant efficace et permet de fortifier les troncs de palmiers utilisés en couverture terrasse. Ainsi qu’au fer et au bois, matériaux d’importation, utilisés seulement pour les accessoires, grillage, tirant… pour le fer et dans les portes, fenêtres et coffrages pour le bois.

Vu l’utilisation presque exclusive des matériaux locaux jusqu’à très récemment, les maçons de l’île ont été contraints de créer des modes de construction adaptés. A partir d’une connaissance profonde des possibilités de chaque matériau utilisé, ils ont mis au point des procédés simples mais efficaces. Nombreux sont les édifices plusieurs fois centenaires encore debout dans l’île. Comme dans toute Architecture vernaculaire, le constructeur djerbien est sans doute passé par des recherches et des tâtonnements pour arriver à des solutions transmises de génération en génération. Malheureusement, certains de ces procédés ont été oubliés et remplacés peu à peu par les nouvelles techniques modernes.

A Djerba, trois types de toitures sont employées simultanément ; toit-terrasse, voûte, coupole et souvent pour un seul volume comme pour la chambre, dar. Ce qui dénote d’une dimension sociale et symbolique importante dans leur Architecture.




 
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